Corde raide et corps de rudes






Témoignage de prétextes littéraires et chants arrachés à un cordon tendu, ce chapitre en vingt huit textes, rend l'âme à ses propriétaires. Ci-dessous, les deux bouts de cette corde raide :


Texte premier : "A nos cybériennes années"


A nos cybériennes années
Dont on paie enfin la patente,
A tous nos mots entremêlés
Comme deux langues haletantes,
Je lève mes vers corrompus
Aux tessons des cordes vocales,
Qui m’ont laissé le corps rompu
Et l’âme ou le cœur en escale.


A cet écran dépeint total
Par les pains sots de chaque claque,
Par la piqûre au choix létal
D’avoir ses Rome en quelques flaques,
Je veux laisser succédané
De pisse au lit dans son silo,
D’avoir assez sucé d’années,
De pissenlits et de stylos.


Aux runes en ruine et aux mots,
Coalisés dans ce grand cirque,
Où tigres et fumeux pavots,
S’affrontent en cris cathartiques,
Je me relis, homotextuel,
A la limite, en autarcique,
Oubliant l’aspect contextuel,
De mes bêtises sémantiques.


A nos années en Cybérie
Dont on ne retient que le froid,
Dont on peut pleurer, dont on rit
De tout ce temps que l’on se doit,
Je lève une armée de zéros,
De uns, de touches et de doigts,
Regroupés dans le brasero
Des illusions et de l’effroi.


Texte dernier : "Vladivostok station"

Je viens vous lire
l'impénitente gare en station ouvrière,
des souvenirs hagards qui n'ont que fer d'hier,
chemins de cire,
des mots vidés, cédés à tant de passions rances,
qui n'ont de procédés qu'invectives qu'on lance...


Le train est entré en gare, sans voix, la dernière,
on embarque, et je jette un piano à la mer...
Il est fini le temps des rimes et des vers,
mes mots voyageront vers d'autres univers.


C'est joli !
Je jouerai plus à la dinette,
c'est promi !
N'est-ce que pour les autres fêtes...
Et maudit,
je retourne à la tempête,
je retourne mes chaussettes,
j'ai leur boule et mes boulettes
qui me font tourner la tête,
c'est fini !
ça ressemble à la retraite
de Russie,
la Bérézina s'entête,
elle aussi,
à couler froide et seulette,
Cybérie...


Certaines phrases sont des caveaux pour nos âmes,
des caniveaux où coulent des rancoeurs débiles,
où s'accumulent les divorces et les drames,
rangés dans le sarcophage de Tchernobyl.


Ne compare-t-on pas et la plume, et l'épée ?
N'en saigné-je pas pour les deux d'un même fil ?
Dans un train Pullman, Lili Brik est arrivée...
Et d'autres chemins où les traverses défilent...
Ses yeux n'ont pas vertiginosité de jade,
Mais ses cheveux me font une écharpe à mon cou.
Et notre éloignement, et notre désirade,
Hurle comme les trains qui roulent vers Bakou.


Vladivostok Station.
Où les brides de main n'ont que verge pour frein.
Où toutes les petites Jehanne s'oublient,
où leurs langues avides n'ont que mal pour faim,
n'enseigné-je pas quelque intime biologie ?
Vladivostok Station.
Où résonnent ces cris dont on sait le refrain.
Où s'emballent souvent les chevaux du désir,
pour cent bals, quelque rouble, art factotum aux fins
de trouver les moyens de s'offrir du plaisir...


Si les ports sont des villes de ponts, aux deux mers,
se raccordent les corps qu'on fantasme à l'envi,
si saint Jean, bon apôtre, a la tête à l'envers,
que donc penser alors de l'état de son vit ?
La douceur océane est entrée par mes pores,
et sa langue diaphane a tourné pour sept fois,
dans ma bouche embaumée par l'odeur de son corps,
les mots en beaux mets qu'elle dévore en moi.


« Je te veux,
                 je te tiens,
                                  te possède,
                                                   t'engloutis..
Fais un voeu !
              Sois chrétien !
                              Pour qu'on cède,
                                                   mens aussi ! »


Les retenues
                    et les barrages
                                           du fleuve Amour,
sont contenus
tout contre nus,
compte tenu
                   de nos grands âges,
                                                jusqu'à ce jour...


Or, dans un rêve à la Bilal,
les femmes pièges se referment,
comme un flacon de penthotal
dont on a vu venir le terme.
Vladivostok en italique,
et ses Rome de vérités,
Cédant ensemble à la panique
Du fruit maudit d'Eve hérité.
Des Vatican un peu perdus
au delà des déserts gobés
par le grand train qu'on a tenu
sur les rails de Karymskoïe.
Sur les rails blancs de nos mariages,
où messe dite à reculons,
ressemble plus à un voyage
qu'aux défilés de ces wagons...


Alors sans cesse,
                            Vladivostok
                                                et sa station,
où tous se pressent,
                         un coeur en stock,
                                                en gestation,
marque la fin
                      de nos errances
                                              et de nos raids
transcybériens,
                        où l'on avance
                                              en corde raide.

1 commentaire:

Ariaga a dit…

A partir d'un commentaire chez Eipho; je découvre des merveilles qu'il me faudra du temps pour explorer. Et un breton, en plus...

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Hauteville/mer, Basse Normandie, France
Auteur cybérien post-Poétique.